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Le mariage de Mathilde

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Mathilde :
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Bonjour Gilles

Je suis stagiaire à L.... Je mène un atelier philo vendredi avec une classe de 7-9 ans et ils ont choisi le mariage comme thème. Je n'ai pas de support et je ne sais pas trop quelle question poser ? Pouvez-vous me guider ? Merci.

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Gilles :
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Bonjour Mathilde,

Merci de votre message et bravo pour l’expérience que vous êtes en train de mener.

Comme vous vous en souvenez probablement, je préfère que le sujet de la discussion s'exprime sous la forme d'une question. Vous me dites que le thème choisi a été le mariage. En ce qui me concerne, j’aurais poussé la séance jusqu’à ce qu’une formulation du genre "Pourquoi se marie-t-on ?" ait été proposée.

Mais, bien sûr, on peut tout à fait mener une séance de discussion sur un thème général comme celui-là. Vous avez bien noté que je propose assez systématiquement des « sous-questions » pour initier la discussion, sans imposer qu’elles soient traitées : ceci constitue un des aspects de la dimension libertaire de mon approche. Les questions qui peuvent être proposées ici sont multiples. Celle qui me semble essentielle, c’est celle de la définition. Vous pouvez donc commencer par demander « Qu’est-ce que c’est, le mariage ? » On peut alors suggérer aux enfants qu’ils donnent une définition générale, puis qu’ils essayent de bâtir une typologie avec une question du genre « En existe-t-il de plusieurs sortes ? ». (On peut penser, sans JAMAIS le proposer, aux mariages civils, religieux, entre personnes du même sexe ou non, aux mariages arrangés, aux mariages d’amour, à ce qu’on sait des mariages célébrés dans d’autres régions du monde ou dans des périodes passées, etc.)

On peut en second lieu demander « Pourquoi se marie-t-on ? » si la question de départ ne s’est pas exprimée sous cette forme. Il n’est pas impossible de se baser sur l’expérience des enfants dont certains ont probablement dans leur entourage des exemples de couples qui ne sont pas mariés, ce qui fait apparaître le mariage comme un choix, et non une obligation comme ça a pu l’être à certaines époques. Peut s’ensuivre un glissement vers les avantages et les inconvénients d’être marié, etc.

N’hésitez pas, bien sûr, à préciser la loi et, si les enfants n’en parlent pas, à évoquer les avantages fiscaux du mariage, quitte à demander leur avis là-dessus. Il ne s’agit pas ici de donner son opinion, mais bien de décrire le contexte dans lequel la question se pose, actuellement, en France. Si vous avez des éléments, vous pouvez aussi préciser, nous l’avons évoqué, comment les choses ont évolué au fil du temps. Rien n’empêche de parler du mariage au Moyen-Age, de l’évolution de l’âge du mariage, des différences entre les mariages de roturiers et de nobles, des mariages arrangés, ici et ailleurs, de l’importance de l’église et de la religion, le tout bien évidemment sans jugement d’aucune sorte. Il s’agit simplement d’un apport d’informations qui permettent d’éclairer la réflexion philosophique. Dans le cadre d’une classe, tout ceci peut d’ailleurs aussi déboucher sur un travail de recherche, en histoire par exemple. Vous pouvez aussi apporter des informations sur les différents types d’union qui existent actuellement en France : l’union libre, le PACS, les mariages entre personnes du même sexe, des polémiques que cela a entrainé, etc. Il y a beaucoup de choses à dire, et vous choisirez en fonction de ce que vous vous sentez prête à aborder. Bien sûr, l’idéal c’est que les enfants eux-mêmes apportent ou esquissent des informations que vous n’aurez qu’à compléter, voire à rectifier si des contre-vérités factuelles sont dites.

Si le côté définitif ou durable de la chose est évoqué, vous pouvez aussi introduire le problème de la séparation ou rebondir dessus. Cela doit bien sûr se faire avec prudence. Tout le monde comprendra que de telles réflexions peuvent toucher des choses personnelles. Il est donc plus que jamais nécessaire d’employer un mode de pensée et d’expression impersonnel, d’éviter autant que faire se peut les récits à la première personne, et de renforcer sa posture de retrait.

Les rapports entre amour et mariage peuvent aussi être évoqués. Tous les gens mariés s'aiment-ils ? Tous les gens qui s'aiment se marient-ils ? etc.

Voilà ce que m’inspire votre question a priori.

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Mathilde, quelques jours plus tard :
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Je suis dans la préparation de mon atelier philo sur le mariage. Après avoir observé une dizaine d'ateliers de discussion, je constate une difficulté importante : quand et comment intervenir afin que le débat soit constructif ?

Je vous remercie pour votre mail car je comprends aujourd'hui l’importance d'une préparation afin de permettre au débat de se construire et revenir au concept.

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Gilles :
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Pour pouvoir vous répondre, j'aimerais savoir où se situe la difficulté que vous mentionnez. Est-ce une difficulté d'adulte, de meneur de débat, ou est-ce une difficulté pour les enfants ? Si vous voulez bien essayer, dans tous les cas, de la caractériser... Je vous donnerai mon sentiment ensuite.

Je ne suis pas absolument sûr qu'une préparation soit nécessaire. Dans le cas d'un atelier "unidose", dans une médiathèque par exemple, et si on pense comme moi qu'il est 1000 fois préférable que les participants eux-mêmes définissent le thème de la discussion, le temps qu'on pourrait consacrer à la préparation est inexistant, ou presque. Je pense qu'il importe plutôt de SE préparer, en tentant de devenir soi-même philosophe, en lisant, en réfléchissant, en discutant et en modifiant petit à petit son approche du monde pour essayer de soulever en permanence les problèmes philosophiques sous-jacents. Je vous rassure : si vous persistez dans la voie de l'animation de discussions philo, cette habitude va s'installer d'elle-même...

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Mathilde :
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La difficulté vient de l'adulte : mener le débat afin qu'il soit constructif. Les enfants aiment énormément parler et échanger. La pratique est indispensable afin d'améliorer le rôle d'animateur. Je remarque que parfois certaines discussions s'essoufflent, et ce n’est pas si évident de rebondir pour relancer le débat.

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Gilles :
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Première remarque : ce sont des difficultés d'adulte, c'est bien ce que j'avais perçu. Celles-ci me paraissent secondaires. Entendez-moi bien : il faut bien sûr se sentir relativement à l'aise pour avoir envie de continuer à animer des discussions philosophiques, je dirais même qu'il faut y éprouver un certain plaisir. Mais le principal de l'affaire c'est ce que vous relevez : que les enfants disent, de façon sincère (et pas pour faire plaisir à l'adulte) qu'ils "aiment énormément parler et échanger". Si cela doit se payer d'un certain inconfort (nécessairement passager) de l'animateur, ce n'est pas bien grave. C'est pourquoi je clos systématiquement mes ateliers par un moment de bilan : "Les enfants, qu'avez-vous pensé de ce moment vécu ensemble ?"

Deuxième remarque : J'ai toujours du mal à juger de la qualité d'un débat. Qu'est-ce qu'un débat constructif ? Constructif pour qui ? C'est toute la question de l'évaluation de ce type de pratiques qui est posée là. Par exemple, un débat qui serait majoritairement composé de digressions serait-il constructif ? Moi je pense que oui, et que la pensée digressive est à respecter. Encore mieux, il importe, dans une réflexion méta discursive, que les enfants eux-mêmes disent si les digressions leur conviennent. Et que, eux-mêmes, disent au moment du bilan si, et en quoi, le débat a été constructif. Sinon, nous risquons de plaquer nos propres représentations sur ces moments. De même, à quoi voit-on qu'un débat s'essouffle ? Faut-il le relancer ? Pourquoi ? Pour tenir dans les 45 minutes que le cadre nous impose ? S'il n'y a plus rien à dire, peut-être, effectivement, est-il préférable de se taire ! Dans le cas concret qui nous occupe, le mariage, si tous les points qui vous sont venus à l'esprit sont abordés (ceux que j'ai détaillés dans mon premier message), alors, arrêtons-nous là. Ce n'est qu'un début...

Au-delà même, si les enfants (et eux seuls, oserais-je dire) estiment qu’on n’a pas eu assez de temps, qu’on n’est pas allé assez loin dans la discussion, alors, la partie est gagnée ! Car, par cette frustration voulue, voire provoquée, on développe chez les jeunes le désir de compléter la réflexion, ailleurs, plus tard, dans le même cadre ou dans d’autres, seul ou à plusieurs. De ce point de vue, savoir si le moment qu’on a vécu a les caractéristiques de la philosophie ou pas (et cela dépend de la conception qu’on a de la philosophie, qui varie du tout au tout, ou presque, d’un auteur à l’autre), savoir cela est secondaire. Seul compte le goût qu’on a développé ou, plus précisément, de la flamme qu’on a entretenue ou contribué à ne pas éteindre, puisque nous naissons tous philosophes.

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Mathilde :
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Parfait... je note... Une chose est sure... je prends un plaisir immense à animer des DP...

Votre retour est très instructif et me remet à ma place afin de ne pas oublier l'essentiel.

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Mai 2018

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